22 avril 2006

Oui, la Belgique marche.

De la marche blanche à celle de Joe, le peuple belge se mobilise alors que ses représentants politiques prennent comme un malin plaisir à le diviser. Un philosophe se demandait, dans les pages du Soir de ce week-end, pourquoi les Belges se rassemblaient autour de cercueils ? Il évoquait ceux de Julie et Melissa, d'Ann et Eefje, de Joe, du roi Baudouin, etc. Il n'avait pas de réponse. Moi non plus. Juste un point de vue.
La Belgique reste un état, en mauvais état certes, mais un état, pas une nation. Pays confiné dans des frontières imposées par l'extérieur, son peuple, au gré du temps, s'est forgé la volonté d'en faire un havre de paix et de démocratie. Ce qui ne lui réussit pas trop mal. Je ne vais pas refaire notre histoire, la mienne me suffit. Né de mère Wallonne et de père flamand, quand j'étudiais à Anvers on me traitait de « fransquillon » et de retour en Wallonie on me traita de « flamin ». Je vous épargne les qualificatifs qui accompagnaient ces étiquettes, ils n'étaient pas propres. Je me sens belge sang pour sang, comme pourrait le chanter Johnny. Sale pour sale, chanteront les extrémistes. Avec des gênes aussi variées et des gènes aussi bilingues, on pourrait me soupçonner de voir mon pays autrement. Admettons. Mais je ne dois pas être le seul à constater que les habitudes et attitudes de vie rapprochent plus les Liègeois des Anversois que des Gantois et qu'il en aille de même pour les Gantois et les Namurois par rapport au Liègeois.

Ce phénomène observable n'est pas sans rappeler une principauté de Liège qui comptait plus de communes flamandes que wallonnes au XVIè siècle. Dans 12 des 22 bonnes villes de la principauté, de Tongres à Saint Trond, on parlait flamand. Cela date d'avant l'imposition de frontières belgo belges.

Aujourd'hui, ces frontières sont là et d'autres se sont érigées pour bien distinguer nos particularismes linguistiques et laisser aux politiques la liberté d'affûter la « langue » comme l'arme la plus redoutable pour maximiser les voix qu'ils récoltent aux élections. Une arme de peu de poids face à une globalisation qui les prive de plus en plus de l'exercice du pouvoir d'influencer le cours des choses.

Sacrée globalisation, que de choses laisse-t-on faire en ton nom. Citons en trois :
- Des biens de consommations de plus en plus sophistiqués, de moins en moins chers et de plus en plus accessibles. C'est une bonne nouvelle.
- De l'exclusion et de la précarité, un autre produit de la globalisation. Un mal auquel accèdent de plus en plus de gens et qui coûte, par contre, de plus en plus cher comme en témoigne la racaille marginalisée qui tue pour s'en emparer.
- Un culte absolu de la liberté de circulation des capitaux, des biens, des citoyens et des idées qui gomme les particularismes et crée la convergence en tout sauf sur la scène du pouvoir politique belge. Encore que.

Un des particularismes belges réside dans l'obligation de vote imposée à ses citoyens dispensés, du coup, d'être motivés. Une obligation qui dispense en même temps le politique de devoir rendre des comptes, absolument. Il se contente d'avoir des militants qui, par effet de cascade d'informations biaisées, motivent de plus en plus de gens dans leur entourage à voter pour lui. La cascade est aussi fiable que le téléphone sans fil. Le premier émetteur biaise l'info qui, de transmetteur en transmetteur, sera toujours reprise, souvent amplifiée et parfois déformée. Et on se retrouve avec 1000 hommes politiques en charge de l'avenir de seulement 1 million de Bruxellois, par exemple. Un rapport indécent qui favorise le morcellement des espaces de volonté commune. Ce système d'intox ou d'info en cascade n'y est pas étranger tant il privilégie la recherche d'homogénéité. La cohésion est à ce prix. Plus un groupe est homogène, plus il se sert les coudes. Ce gain de cohésion isole le groupe des influences externes. Il y a le groupe et les dissidents.

En Belgique le système a atteint un paroxysme : nos gouvernements prennent de plus en plus l'apparence de rassemblements de dissidents qui partagent peu sinon des goûts et des couleurs : goûts de pouvoirs et couleurs politiques métissées qui vont du violet à l'olivier. Insensé ? Surréaliste ? Typiquement belge. Extrêmement démocratique. Pas toujours pratique pour décider. Le Belge s’en satisfait.

Et pour cause. La majorité des Belges jouit encore de ce qui n'est qu'un rêve pour nombre de citoyens de ce monde : une position payée, stable et protégée qui n'exige pas trop d'ardeur au travail et qui dure, parfois encore, toute une vie. Le tout dans un pays indéniablement démocratique et accueillant. Cela ne durera pas, nous le savons. Nous faisons la sourde oreille dans l’espoir de pouvoir jouer les prolongations.

Cette situation est bien différente du pays des chantres de la globalisation que sont les Etats-Unis où chacun a du se construire à la force du poignet, où rien n'est jamais acquis, où se battre pour un rêve, fut-il américain, est devenu une habitude bien ancrée, un « way of life » qui se transmet de génération en génération. Là-bas, tout le monde se bat pour sa propre autonomie quitte à exclure le voisin. En Europe, on compte sur l'autre. On valorise l'interdépendance. Et c'est magnifique.

Les Indiens et les Chinois l'avouent, le modèle européen les inspire bien plus que le modèle américain parce qu'ils savent que tout est interdépendant. Les Belges l'ont su et en ont tiré les conclusions adéquates bien avant les autres. Puissent Leterme et consorts s'en souvenir. Parce que les belges ne les laisseront pas enterrer la Belgique. La marche de Joe en témoigne. Vous n'êtes pas les bienvenus, Messieurs les politiques. Cessez vos joutes oratoires, écoutez et rejoignez la Belgique qui marche quand l'inacceptable la touche. Parce qu’il y a des choses auxquelles le Belge ne peut prêter une sourde oreille.

La Belgique est née précaire mais s'est épanouïe. Pays soumis à de multiples influences par nature, son sol est devenu nourricier d'une culture ouverte à l'altérité, au respect et à l'accomplissement. Et la Belgique marchera contre tout ce qui menace ces valeurs. Elle veut les préserver et aspire au retour des leaders politique. Ceux qui montrent la voie au lieu de monter le ton. Ils se font rares, hélas.

Quand dans un petit pays comme celui-ci, un enfant meurt, il y a des belges qui se lèvent dignement pour dire que cela doit cesser. La mort d'un enfant, c'est une promesse d'avenir non tenue par la société. Les Belges se mobilisent quand un cercueil vient rappeler la beauté de leur valeurs et le peu d'attention accordée à leur précarité. Le sang belge ne fait qu'un tour dans tous les groupes linguistiques, ethniques et sanguins quand on bafoue une de ses valeurs.

La Belgique marche parce qu'elle ne marche plus très bien et qu'il faut régler cela, courageusement. Sans oublier que la multiculturalité est sans doute notre matière première la plus précieuse.

©Patrick Willemarck, le 22 avril 2006.

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