15 août 2006

Elle, au second degré.


J'aime bien ELLE, le magazine. Je l'aime pour son histoire, son actualité et ses dernières sélections. J'y vois un miroir de ce qui se fait, se vit et qui émeut les femmes et les hommes dans leur part de féminité. Je me réjouissais de l'édition belge qui a osé recruter quelques belles plumes mâles assumant ainsi une bisexualité éditoriale autant que psychique qui sied à l'époque.

J'ai feuilleté le numéro du mois d'août à l'envers. J'y ai découvert la recette de brochettes au thon et l'assurance que Jupiter allait me remettre sur orbite, question travail. La fin des vacances aurait suffi pour m'y remettre, mais bon, si Jupiter s'en mêle, je souffrirai peut-être moins de mon retrait de permis. On verra.

Ensuite je découvre, au-delà des derniers trucs à savoir sur Knokke avant le "QuinZoute", ce témoignage touchant, sur deux pages, d'une femme divorcée à qui un Gigolo a redonné confiance et mis sur la route d'un nouvel amour. "Au bout de quatre ou cinq rencontres (avec son gigolo, ndlr)," écrit-elle," j'ai décidé que cela suffisait, que j'en avais fait le tour." Un peu plus loin elle ajoute : "Tous mes slips audacieux sont rangés, en attente. Si je les mets devant quelqu'un de normal, il va se demander ce qui m'est arrivé. Aujourd'hui, j'ai refait ma vie et je me sens vraiment bien." Elle se contente de refiler l'adresse de son gigolo aux amies en détresse, pour leur faire du bien, discrètement parce que l'homme n'aime pas l'idée qu'une femme ait eu d'autres relations. Il est un peu con, sans doute, mais il préfère être le premier ou rayer l'idée d'un autre de sa tête. Fortes de vouloir être "la dernière" comme l'écrit Bea Ercolini, les femmes arrivent à le convaincre du contraire si le jeu en vaut la chandelle. L'homme est aussi nul en bagnole, d'ailleurs. La voiture, ce sont ses bottes de sept lieues. Et, en matière de « transportation », il préfère ne pas chausser les bottes d'un autre. Et tant pis si ces bottes neuves de premier choix explosent son budget et celui de sa famille.

En poursuivant ma lecture, je découvre l'édito de la rédac chef. Chouette, elle y souhaite bienvenue à ses lecteurs fidèles. Zut, une ligne plus loin, elle m'exclut prétextant que c'est "logique, on est entre fille". Mon libraire aurait dû me prévenir que c'était interdit aux mecs. Ce sectarisme à l'égard des mâles me perturbe. Les droits de l'homme, dans ELLE, se réduiraient-ils à la figuration pour quelques stars et mannequins et à l'écriture de quelques plumes triées sur le volet ? Pas de lecteurs ? Serais-je victime d'un grand malentendu ?

Une publicité pour du champagne me rassure en page 133 du numéro en question. On y voit une souriante blonde avec diadème serti de pierres précieuses, accrochée à une coupe de champagne sur un lit. Elle est au premier plan entourée de trois hommes qui clament (c'est ce que je déduis des guillemets qui encadrent les mots): "Les filles ont toutes besoins de loyaux sujets". Ouf. Je sais que ce n'est que de la pub qui joue sur l'univers fantasmatique de belles fables à propos de très belles princesses. Il n'empêche, le magazine qui adhère au Jury d'éthique publicitaire (le JEP) a accepté une annonce qui reconnaît à plusieurs hommes le droit de côtoyer une fille et s'y soumettre en loyaux sujets. Les objets, c'est bien connu, sont une appellation réservée aux femmes. Alors je me dis que Bea Ercolini a dû se tromper. Ou tout au-moins que je ne suis pas visé par ses mots sectaires. En tant que loyal lecteur ou sujet, je me sens, du coup, bienvenu dans les pages de son magazine.

Mal m'en a pris. Quelques lignes plus loin, en effet, elle condamne "les stratégies suicidaires des publicitaires et l'inadéquation de leurs messages à la cible" en épinglant une affiche de Nearly New Car (le distributeur de voitures de direction du groupe Daimler-Chrysler). Une seule affiche et toute une industrie prend une claque. ELLE devient violent. Sur l'affiche incriminée, une jeune et belle femme couchée sur un lit demande au public "Cela vous gênerait de ne pas être le premier ?" L'affiche était déjà apparue, il y a plusieurs années, sans trop d'émoi. Contrairement à l'annonce pour le champagne que je décrivais à l'instant, la femme de cette affiche est brune et seule dans son lit. Elle n'a pas de diadème mais porte autant de vêtements. Elle dit clairement qu'elle n'est plus vierge, ce que ne dit pas la blonde au diadème. On pourrait donc envisager que cette dernière le soit. Avouez que la fable en deviendrait carrément glauque: qui des trois hommes qui l'entourent procèdera à son dépucelage ? Célèbreront-ils cela au champagne ? Cela me donne envie d'écrire au JEP.

Manifestement cette interprétation ne dérange pas la rédac chef : ses collaboratrices et elles ont déjà vu le loup et même sa queue, écrit-elle (J'imagine qu'elle parle de ses "loyaux sujets", nous les hommes). J'en conclus qu'elle se soucie autant de la virginité que l'annonceur Nearly New Car dont elle critique l'affiche. Mais alors, pourquoi critiquer ? Elle n'est pas vierge, ses collaboratrices non plus, la dame qui témoigne de sa belle histoire d'amour grâce à un gigolo non plus: elles assument toutes. Le problème, le cas échéant, doit se résumer à une question de degré.

Au premier degré, le magazine ELLE exclut les hommes de son lectorat, Nearly New Car fait la promo des voitures comme se vantent des femmes d'expérience esseulées sur des sites de rencontre, la belle occase, et le champagne devient une arme qui permet aux femmes d'assujettir les hommes en groupe. Mais qui dit que le lecteur et le consommateur s'arrêtent au premier degré ? Seraient-ils trop limités, décortexés pour aller un pas plus loin ? Sont-ils dénués de toute capacité d'interprétation et de jugement ?

Mieux vaut en rire, non ? Je préfère ELLE au second degré en me souvenant de ce vieux proverbe chinois selon lequel "on ne jette de pierres qu'aux arbres qui portent des fruits."
©Patrick Willemarck

Ayant lu ces lignes, voici la réponse de la rédactrice en chef de ELLE Belgique:

Bonjour monsieur Willemarck

Vous n’êtes pas le premier et je suis ravie que cela ne vous gêne pas.
D’habitude, rares sont ceux qui prennent le temps de nous écrire, qui plus est de façon si longue et détaillée.
Et là, tout à coup, deux belles et longues lettres.
Faut-il vraiment que cette campagne vous touche.
Nous avons bouclé vendredi notre édition de septembre. Elle contient, en page “ELLE aime vos lettres”, celle d’un monsieur qui a dégainé plus vite que vous et qui, comme vous, apprécie le second degré.
Quant à nous, et aux quelques lectrices qui se sont manifestées, nous persistons à trouver vulgaire l’assimilation du rodage au dépucelage, quel que soit le sexe de la personne qui le pratique.
Je vous remercie néanmoins de nous lire avec autant d’attention. Plutôt que de mitrailler les arbres, nous préférons en recueillir les fruits.

Béa Ercolini
Rédactrice en chef ELLE Belgique

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