28 octobre 2005

Le doute

C’est bien connu: dans le doute, on s’abstient. On refuse de faire table rase. Ou alors on accepte, mais juste le temps d’un séminaire. Pas dans le réel, s’il vous plaît. Jean-Pierre Villaret, avant de créer sa propre agence avec Devarrieux était le patron de Young & Rubicam Paris. Un jour, il a rassemblé ses cadres en leur demandant de réfléchir au type d’agence qu’ils feraient s’ils devaient en commencer une en partant de rien. Il paraît que c’était génial, créatif, inventif, compétitif. Il a conclu la session en disant: “Très bien, on va mettre tout cela en application chez nous dès demain.” Tous ses cadres s’y sont opposés... “Tu es fou Jean-Pierre! C’était un jeu. Le boulot, ce n’est pas du jeu. Le business, c’est sérieux.” Les cadres sont créatifs, quand ils ne sont pas ancrés dans le quotidien. Dans la routine, j’ai envie de dire.

Le doute fleurit plus facilement dans l’inconfort. Inconfort de nos deux créateurs de Google qui n’arrivaient pas à vendre leur projet. Inconfort de l’inventeur en attente d’un brevet ou d’un bailleur de fonds. Inconfort du débutant. Inconfort de la période d’essai. Une fois qu’on a l’argent, la réassurance, il n’y a plus de quoi douter. On a réussi sans aucun doute (en fait, on a vite fait de l’oublier). C’est humain de réagir ainsi, non? Aussi humain que l’erreur. Le doute doit être permanent pour réussir durablement. C’est un moteur.

Comment intégrer tout cela dans une stratégie d’entreprise? Toute stratégie est un exercice hypothétique qui demande donc un goût pour l’inconnu et une méfiance pour la science. A moins de reproduire ce que fait le voisin. Mais plus il y aura d’acteurs économiques qui reproduisent la même stratégie fondée sur les mêmes hypothèses, plus elles seront nombreuses à se ronger le même os, de plus en plus sec de toute chair. Et cette hypothèse là a été vérifiée. En matière de stratégie d’entreprise, il n’y a pas de science; il n’y a que de l’expérience. Si le changement est autour de l’entrepreneur, le doute doit être en son cœur. Qu’il le veuille ou non.

Pensez à l’histoire récente du Club Med. Philippe Bourguignon y a appliqué les recettes - hypothèses vérifiées - qui avaient marché chez Disney. A ses yeux, le Club Med souffre d’une taille trop petite. Son capital, c’est sa marque. Il faut la décliner. Sous sa présidence, le Club Med va se mettre à vendre des vêtements à sa griffe dans les rayons de Carrefour. Ils lancent des clubs de gym au cœur des grandes villes - “Club Med Gym” - et ouvrent des centres de rencontres - “Club Med Worlds” - à Paris et Montréal. Cela ne génère pas le succès que l’on pouvait espérer sur papier. Le repositionnement des villages, la coupe dans les prix et les coûts, le lancement d’une formule “chic et pas chère” pour les jeunes n’aident pas plus. Quand Bourguignon a pris les commandes du Club Med, l’action valait 150 euros. Fin 2002, elle vaut 10 fois moins. Son directeur financier réclame sa peau auprès de la famille Agnelli. Il l’aura. Philippe Bourguignon démissionne le 17 décembre 2002 après sa deuxième année de pertes: 62 millions en 2002 et 70 millions en 2003. “Shaken as tourism to its resorts has slumped because of terrorist threats,” dit le communiqué. “Philippe Bourguignon, toujours en ébullition, cyclothymique et autocrate, obsédé par la com’ se positionnait en visionnaire du tourisme. Posé discret, plutôt modeste malgré sa filiation, Henry Giscard d’Estaing, calife à la place du calife, met en avant sa capacité à fédérer les équipes” (Natacha Tatu, in Nouvel Obs, 9 juin 2005). Ecouter et douter. “Notre modèle économique n’était pas le bon. Aujourd’hui, je ne sais pas si ma stratégie est la bonne mais je pense qu’il n’y en a pas d’autre,” confie ce dernier à la même journaliste. Pour la première fois de puis quatre ans le Club Med dégage un profit de 3 millions au premier semestre 2005 et un résultat d’exploitation de 35 millions, en hausse de 8%.

Patrick Willemarck Pour Media Marketing

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