20 janvier 2007

Le temps des charlatans.


Hubert Nyssen, fondateur de la très belle maison d'édition Actes Sud, nous parle des charlatans dans son livre "Lira bien qui lira le dernier" . "Condorcet disait que "toute société qui n'est pas éclairée par des philosophes est trompée par des charlatans."
Eh bien voyez, notre société est infiltrée par des publicitaires qui se donnent des airs de philosophes, et elle est bernée par des philosophes qui ont des pratiques de publicitaires." Hubert Nyssen est belge. Il était publicitaire avant de devenir éditeur et écrivain. Que l'on se veuille publicitaire ou philosophe, importe peu, il invite l'homme à l'humilité. Quant à son livre, il se savoure comme un magnifique plaidoyer en faveur du livre, un monument en péril mis à l’honneur par la foire du livre de Bruxelles
.

Un monument dont la survie dépend de lecteurs passionnés qui prennent le temps d’ouvrir ces livres comme on ouvrirait des fenêtres sur des mondes possibles, probables, réels ou virtuels.
Ouvrir un livre exige du temps. Une denrée qui se fait rare dans ce monde pressé où l’urgence dicte les conduites et favorise le réflexe au lieu de la réflexion. Accepterons-nous sans broncher que la dictature du temps nous réduise à des sujets pavloviens ?

Le Flamand fait bien la différence quand pour réfléchir il parle de « na-denken ». Nadenken induit bien que la réflexion vient après la pensée. Après (na) le « denken." Et si c’était cela notre problème. Une indisposition chronique à savoir prendre le temps de penser nos métiers, nos vies, nos avenirs. Qui pense encore ? Qui prend encore le temps ?

Mon hypothèse c’est que le temps que nous ne prenons pas est du temps que nous perdons. On le perd à devoir réagir dans l’urgence aux crises qui éclatent, faute de préparation et de vision. On finit par réagir instinctivement. Comme des bêtes. Et notre liberté dans tout cela ? Et notre faculté de penser ? Et si ces résolutions de crises instinctives et urgentes nous donnent le sentiment de progresser, ce progrès n’est-il pas simplement le développement d’une erreur. Le livre et le film d’Al Gore est-il autre chose que le récit d’une histoire du progrès où les erreurs se sont accumulées ?

Peut-on arrêter le temps ? Stella Artois a essayé de nous le faire croire dans les campagnes publicitaires de Mc Cann où ils nous présentaient des hommes emportés par des foules pressées qui décidaient tout d’un coup de s’arrêter : « ils arrêtaient le temps, le temps d’une Stella », l’œuvre de nos fameux brasseurs. Les mauvaises langues en attrapaient la migraine. Une œuvre ne peut pas plaire à tout le monde.

Et Hubert Nyssen rappelle que cette maîtrise du temps est bien plus jouissive avec un livre. "mais réfléchissez », écrit-il, « le désir d'arrêter le temps n'a jamais trouvé à se réaliser que dans les oeuvres. Un tableau, une symphonie, un poème ou un roman sont autant de cadres dans lesquels le temps se trouve soudainement emprisonné, immobilisé, naturalisé. Et avec lui, vous qui regardez, écoutez ou lisez. Ce qui revient à dire que ne pas lire, ce serait perdre deux fois votre temps: le temps de lire et le temps à lire."

Les amoureux de bières me rétorqueront que conjuguer simultanément le temps de boire et le temps à boire génère de plus belles ivresses que la lecture. Tout dépend de ce qu’on boit et de ce qu’on lit. Par contre, la bière doit se boire et impose une certaine urgence ne serait ce que par la date de péremption. Un livre n’a pas de date de péremption et en aura de moins en moins. Sans Internet, les contes des mille et une nuits ont gardé leur fraîcheur à travers les siècles. Plus récemment, Internet a permis à certains livres de ressortir de stocks d’invendus. À la fin des années 80, un montagnard britannique avait écrit un livre sur ses aventures au travers de la cordillère des Andes, au Pérou. Son livre n’a pas eu le succès de librairies qu’escomptait l’éditeur. Dix ans plus tard, un autre livre de mésaventures d’escalade sortait : « Into thin Air » de Jon Krakauer. Cette sortie a relancé les ventes du premier livre grâce à la simple rumeur sur Amazon. « Touching the void » de Joe Simpson était conseillé par les lecteurs qui avaient également lu « Into thin air ». À tel point qu’en 2004, une série télévisée s’en inspira et que cet invendu d’il y a dix ans devint un best seller en 2004. Il se vendait deux fois plus que « Into thin air ». Internet donne une deuxième vie aux livres.

Hubert Nyssen ne s’en plaindra pas. Internet bouleverse les lois du commerce et les palmarès des ventes. Dans The long tail, Chris Anderson explique dans le détail comment le commerce en ligne sur Amazon ou iTunes , par exemple, rend la loi des 20/80 (20% de mon offre fait 80% de mon chiffre) obsolète.Aujourd’hui, 98% de ce qui est offert on line se vend. Voilà qui donne à réfléchir et à penser. Si vous ne me croyez pas, prenez le temps de le lire et donnez vous du temps à le lire. Il ne donne ni migraine ni ivresse. Just food for thoughts.


©Patrick Willemarck

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