13 mars 2006

Voyages scolaires, nostalgie et récréation.

Ils sont trente. Ils ont dix ans. Une moitié sont des filles, l’autre moitié, des garçons. Dans l’ensemble, bien sûr, laissons à plus tard le soin de révéler la part de féminité et de masculinité en chacun d’eux.
Aujourd’hui, ils ont en commun une petite boule dans la gorge, un petit cœur qui bat et l’envie de ne pas le laisser paraître. La boule n’en devient que plus grosse. La gorge des parents qui accompagnent n’est pas épargnée. Une chose est claire, les glandes lacrymales sont sous pression. La consolation paraîtra maigre, mais elles ne sont pas les seules, les tirettes des sacs résistent aussi à la poussée des vêtements qui y sont entassés pour passer une semaine loin de chez soi. Un chauffeur inconnu engouffre ces précieux bagages dans les soutes de l’autocar pendant que les parents s’agglutinent sur les trottoirs de part et d’autre du bus dans lequel les enfants grimpent avec plus ou moins d’enthousiasme. Le trottoir élu par les parents dépend de l’aile du bus dans laquelle leur enfant choisit de s’asseoir. Les parents de filles sont devant. Les parents des garçons derrière. Et pour cause, à cet âge-là, on n’aime pas trop les mélanges.

Le moteur s’allume. À l’unisson, dans le car et sur le trottoir, devant et derrière, à gauche et à droite, les corps se tendent, les bras s’élèvent et les mains s’agitent de plus en plus frénétiquement. Ce n’est qu’un au revoir. Mon œil, c’est bien plus que cela. Dans le bus et sur la rue planent l’angoisse de la séparation, de l’éloignement, de l’abandon, de la solitude, et du refoulement de tout cela en même temps. Certains vivent leurs premières leçons d’apprentissage de l’autonomie et de la différence. D’autres se laissent bercer par la nostalgie de ces premiers pas.

Le chauffeur enclenche la première vitesse, débraye et son bus disparaît pour une semaine de « classes vertes » dans les Fagnes. Il part longtemps. Trop longtemps ? Il part vite. Trop vite ! Tellement vite que les parents n’ont pas encore baissé les bras alors que le bus est déjà parti. Le temps d’un dixième de seconde, on pourrait croire qu’ils se saluent mutuellement, d’un trottoir à l’autre, solidaires dans leur nouvelle solitude. Un jour, je rêve de prendre cette photo, cet instantané qui impressionnera la pellicule (ou ma carte "compact-flash", mais c’est moins beau) de cette envie de leur dire : « Courage, ils reviendront vos chérubins ».

Pas nécessaire. Ils le savent. Ils se parlent. Ils évoquent l’agitation du week-end pour préparer le fameux sac et la tenue à prendre pour la « boum ». Parce qu’il y aura une boum pendant la semaine, en tout cas dans les Fagnes. Les filles ont pris beaucoup de soin à préparer leur tenue. Beaucoup de conseils. Beaucoup d’hésitations aussi. Un peu d’espionnage, parfois.
- « Tu mettras quoi, toi ? »
- « Oh, je ne sais pas encore, tu verras. »

A la boum, deux ou trois couples se formeront. Les autres rêveront d’avoir l’audace d’aller à la rencontre de l’autre sexe pour y gagner la confirmation d’une beauté tant vantée par leur mère ou leur père. En attendant, ils resteront entre gens de même sexe. La tenue sert à quoi, alors ? À épater le concurrent, pas le chaland. À épater cette garce qu’untel semble reluquer. Alors qu’untel, en fait, n’en a rien à battre. Il a un sweater avec la marque de Skate qui déchire et que son pote jalouse. « Ça tue, je te le dis, moi. »

« C’est moi la plus belle, c’est moi le plus beau. » Le combat est discret mais intense. Et ils n’ont que dix ans. Que feront-ils dans vingt ans ? Se marier ? Divorcer ? Donner l’envie de dénuder, de découvrir, de caresser ? Surfer sur les sites de rencontres pour assouvir cette envie de fleur de peau ? Prendre rendez-vous en « speed-dating » par impatience de rencontrer l’âme soeur ? Attendre qu’on leur coupe les vivres, comme les Tanguy de ce monde qui butinent et amassent leurs économies en épuisant celle des parents ? Aller en boîte rejouer le même jeu avec les mêmes grandes postures, les mêmes petites audaces et empathies maladroites qu’à la boum de leur dix ans ? Ou préfèreront-ils se retrouver régulièrement entre gens d’un même sexe, d’un même genre, autour d’activités qui ne sont définitivement pas pour ceux de l’autre autre bord. La chopine pour les uns, le shopping pour les autres. Quel dommage, non ?

Et si c’était cela la mode du vintage qui, de génération en génération, tente à nouveau de séduire les trentenaires et plus. Si ce n’était qu’une intense nostalgie du temps des dix ans où rien n’était plus facile mais où tout était plus tendre. Un temps où tout semblait aussi complexe, mais où rien (ou presque) ne résistait à nos rêves et nos envies.

Et pourquoi n’aurais-je pas le droit d’y voir le regret d’un monde où, à juste titre, on ne croyait pas que tout était découvert. Une époque où le courage et l’assurance arrivaient à faire défaut (comme aujourd’hui), mais où la soif de découvrir n’arrivait pas à s’étancher. Pourquoi ne pas l’accepter comme une invitation à repartir à la découverte, à la récréation ? Une incitation à bannir le vintage des milieux créatifs, sauf par hommage. Un encouragement à introduire la philosophie à l'école comme un voyage scolaire dans le monde des idées. La passion des nouvelles idées s'y renforcera. Leurs chances d'implémentation aussi. Il restera la petite boule dans la gorge que suscite toute nouvelle idée, tout nouveau départ. Un bon signe.
Celui du « Petit Prince » qui sommeille en chacun de nous et que les bons usages et les normes assassinent trop souvent. Vivement la ré-création. Et vivent les voyages scolaires qui nous permettent de nous en souvenir.

©P.Willemarck 2006.

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