21 février 2006

J’ai peur, je crois que je vais accoucher d’une grande idée, maman.

J’attends avec impatience la petite oreillette de reconnaissance vocale et linguistique qui interprètera dans ma langue ce que d’autres me racontent dans la leur. On l’annonce pour 2011. Plus que 1825 fois dormir. J’aurais tellement voulu avoir cette idée. Tant pis, j’achèterai l’appareil.
J’aspire au GSM qui intègrera le même système dans l’appareil, 724 nuits plus tard.
Je rêve du TGV Ryanrail à 500km/h qui mettra Rome à 3 heures et 90 € de Bruxelles.
J’imagine la bande d’autoroutes payantes où ma vitesse se règle automatiquement sur la voiture qui précède et où le 200km/h est obligatoire. Avignon en 5 heures, de porte de garage à porte de garage, sans accroc, sans radar mais avec moteur hybride. J’ignore pour quand ce sera, je n’en dors plus.
J’attends le détecteur de virus qui pulvérise un anti-bactérien immédiat et naturel (les brevets sont déposés) en cas d’attaque sournoise, etc. Les brevets sont déposés, cela ne saurait tarder.
Je rêve d’abribus en ville qui diffusent de la musique et des infos qu’on n’entend qu’en se mettant à l’abri. Je rêve. Je projette. Je conçois. Je me frustre.
« Tu es grand maintenant », me dirait ma mère, » il est temps de te confronter à la réalité. Tout n’est pas possible. Tu ne peux pas tout avoir et tout ce que tu imagines ne peut pas se réaliser. » Alors quoi, maman, les vaillants navigateurs de nos livres d’histoires qui affrontaient les tempêtes pour ramener l’or, les épices et la soie, ce sont de légendes, des inventions ? Ceux qui ont découvert que la terre était ronde sont des illuminés, peut-être ? Non. Pourquoi, toi et les autres, vous entêtez-vous à nous le faire croire ?
- Plus tu grandis mon fils, plus il convient de t’aligner. Pourquoi veux-tu refaire le monde sans arrêt ?, me demande ma mère
- Parce qu’il va mal, maman. Parce que j’ai envie d’essayer. Pour la beauté du geste. Pour me joindre à tous ceux qui ont rendu l’impossible possible.
- Justement, tu ne sauras pas changer cela. Laisse faire les spécialistes. Les gens qui ont fait des études sérieuses. Ceux qui entrent dans les dictionnaires.
- …J’en reste bouche bée. Pourquoi elle n’est pas juive ma mère ? Je rêve d’une mère qui me trouverait brillant en tout.
Ma carrière d’inventeur s’est brisée du coup. Je me suis replié sur la pub.
Je rêvais moins. Je me retrouvais face à la feuille blanche.
Facile à remplir une feuille blanche. À l’école, je la recouvrais de tous les charabias et esquisses possibles. Mon élan créatif débordait en gravure sur les bancs. Mais pas de tags, non, je vous le jure monsieur le Préfet ! Mais là, dans le monde des adultes et dans une agence, je fais quoi ? Je la remplis comment ma copie ? Je la remets à qui ? Il dira quoi ? Si ce n’est pas le directeur créatif qui a des goûts de chiotte, ce sera le directeur de clientèle et si ce n'est pas lui, ce sera le client qu’il ne dirige pas du tout, comme son titre le suggère à tort. Alors, oui, je fais du sage, je fais ce qui se fait, ce qu’on acclame à Cannes. Je fais dans la norme. Je pique l’idée d’un distributeur de téléphone allemand, je l’adapte et ils n’auront qu’à la vendre à Proximus. Je n’ai pas peur puisque je sais que ça a déjà marché.
Quel beau métier. Et dire qu’il y en a qui se demande où je vais chercher toutes ces idées. Bande d’idiots. Chez les autres, bien sûr. C’est simple. C’était simple, en fait.

J’ai appris que tous les pontes de l’économie s'étaient à nouveau, réunis à Davos. Le thème du Forum portait sur la crise de l’innovation. Je ne comprends plus. Je veux être inventeur, je dois renoncer. Je veux créer de l’original, ça ne se vend pas. J’ai donc donné dans le style pré formaté et ça se vend. Alors, de quoi se plaignent-ils à Davos. La créativité en panne ? Retournez-vos lunettes ! Appelez-moi !
La situation est grave. Il y a même un type à Davos qui prétend que pour innover, il fallait avoir une attitude de débutant. Il a été applaudi. Je n’en crois pas mes oreilles. Et l’expérience, mon bon Monsieur ? Un débutant coûte moins cher, c’est tout. Vous ne pensez qu’à ça : réduire vos coûts.
N’empêche, je flippe, ils ont l’air sérieux et puissant les pontes de Davos. Je crains que mon emploi ne soit à nouveau en danger. Copier des débutants, c’est compliqué, ils n’ont rien fait. Faire le débutant, ça ferait con, je suis chauve, bedonnant et ridé. Je les vois déjà me demander : « et votre diplôme, vous l’avez eu à quel âge ? »
Ce n’est pas tout. Pour le prix qu’ils paient, il y en a une autre à Davos qui a remis une couche sur mon stress paralysant. Elle bosse chez Google, mais je ne trouve plus son nom (je n’ai pas trop envie de chercher, en fait). Pour elle, innover nécessite une contrainte. Son ami peintre lui aurait dit qu’il est plus facile et plus rapide de peindre une toile où figure déjà un trait ou un objet qu’une toile blanche.`Elle l’a cru.
Elle n’a pas donné le nom de l’artiste. C’est peut-être un ancien publicitaire recyclé ?
Pour illustrer ces convictions par un exemple plus commercial, elle cite IKEA. Ils innovent mieux et gagnent plus de sous parce que leur radin de patron impose depuis toujours la même contrainte : faire le plus beau possible, le moins cher possible. Le radin en question est un des hommes les plus riches du monde. Au lieu d’offrir des fleurs, il offre des semences, c’est moins cher et ça dure plus longtemps. Au lieu d’engager un designer ou un architecte d’intérieur, il a engagé un publicitaire de Malmö pour ses premiers meubles. Le mec a même inventé le « flat packing » en démontant les pieds d’une table qui ne rentrait pas dans son coffre. C’est con. J’aurais dû faire la pub à Malmö. Pas facile en tant que belge.
Zut alors, je flippe encore plus. Je ne suis ni inventeur, ni créateur, ni Suédois.
Je ne suis peut-être simplement pas assez fou, comme ils disent chez Ikea ? Maman n’aurait pas aimé.
L’ennui dans le monde des grands c’est qu’ils finissent par croire que tout est découvert.
J’ai peur, je crois que je suis devenu grand, trop tôt. Heureusement à Davos ils ont élevé le débat.

Toute ressemblance avec des faits réels est fortuite, à part Davos. Ma mère peut en témoigner. Mais si vous vous demandez pourquoi il n’y a qu’une nouveauté sur dix qui réussit, pensez à la mère de l’idée. Elle, elle n’a pas eu peur de son rejeton, elle ne l’a pas terrorisé non plus. Elle n’a écouté qu’elle-même et ses tripes. Et l’idée est née. Il y a un journaliste à New York qui devient un des hommes les plus influents du « Corportae America ». Il a écrit un livre « Blink ». Il encourage les gens à faire confiance à ce qu’ils ressentent en un clin d’œil.
Y a de l’espoir.

©Patrick Willemarck pour Blister, le 20/2 /2005

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