09 novembre 2009

Un cœur intelligent*

Je reviens d’un petit séjour à Athènes avec mon fils. C’est émouvant de se retrouver là avec un jeune plein de « pourquoi ? » et tout imprégné de ses cours de latin et de grec. Au pied du Parthénon, il y avait l’Agora. Un centre commercial qui avait le mérite d’être un aussi un centre culturel et politique. On y débattait. Participer à la vie de la cité était quelque chose d’essentiel pour l’Athénien, aussi vital que l’air qu’il respirait. Il allait écouter Socrate, Démosthène et tant d’autres, il se rendait au Tholos, ce bâtiment rond ou se trouvaient 24h sur 24 et 7 jours sur 7, les 50 conseillers, les Prytanes qui servaient de médiateurs avec le pouvoir, les institutions et l’organisation de la cité avant d’aller brûler un cierge au temple du dieu qu’il appréciait.

Il y avait beaucoup d’intelligence à Athènes. L’intelligence, en Grec moderne, se dit Exhypnos. Etymologiquement, l’intelligence serait donc une sortie de l’hypnose, du sommeil, une position d’éveil. Les latins feront référence au mot latin intelligere, qui signifie comprendre. Mais pour comprendre, il faut être éveillé.

L’humain vit dans le réel, mais il invite souvent l’imaginaire dans son quotidien. Un imaginaire refuge qui le plonge tantôt dans la nostalgie du passé, tantôt dans l’imagination d’un futur qui, par paresse ou narcissisme, se résume vite à un fantasme. Le fantasme et la nostalgie sont deux façons de nous endormir, de renoncer à être en éveil, à être vigilant.

Le fantasme nous place au centre du monde et nourrit la démesure tandis que l’imagination nous apprend la pondération. Le fantasme impose, et l’imagination explore. L’imagination c’est l’imaginaire qui reste en éveil, donc intelligent, le fantasme c’est l’imaginaire qui renonce à l’éveil. Le publicitaire et son annonceur ne sont pas à l’abri des fantasmes. Une bonne agence l’éveillera aux vertus de l’imagination, de l’exploration.

Mais l’éveil ne suffit pas. L’éveil est aussi le siège de nos émotions et celles des autres qui guident souvent nos choix. La raison permet de conclure, l’émotion emporte la décision. Comment rester vigilant par rapport à ces émotions ? N’essaient-elles pas d’endormir notre raison ? Athènes à été balayée. Les Romains sont venu imposer leur organisation, leur dictature. Aujourd’hui, plus de 2500 ans après, on a encore des centres commerciaux, mais qui se laisse encore inspirer par la politique si ce n’est un fils ou une fille de politicien ? Peu, très peu de gens. « Le rire est devenu la bande son du monde » écrit Alain Finkielkraut dans son un très beau livre, « Un cœur Intelligent », qui est sorti chez Stock. On rit de tout. « Du matin au soir, le public que nous formons est invité à se marrer. »

Dans son livre, il aborde cette aspiration au juste équilibre entre raison et émotion par la littérature. Il analyse 9 romans, de Milan Kundera, Sebastian Haffner, Vassili Grossman, Albert Camus, Philip Roth, Joseph Conrad, Fedor Dostoïevski, Henry James et Karen Blixen.

Avec Vassili Grossman, il rappelle l’engouement des foules pour de nouvelles idées auxquelles des gens admirés et admirables adhéraient en invitant leurs fans à se mobiliser pour une société qui rendrait l’ouvrier et le paysan maître de sa vie. L’idée avait de quoi séduire mais, en soi, elle était fatale puisqu’elle associait la liberté et la domination, deux choses inconciliables. « Le développement de la Russie s’est confondu avec le développement de la servitude. »

Si l’intelligence est une affaire d’éveil, il faut encore que le regard éveillé que nous portons soit celui de l’explorateur, de l’homme qui va vers le monde avec sa part de candeur d’humilité, d’inexpérience. Internet peut devenir un magnifique outil au service de cette exploration. L’holocauste aurait-il pu avoir lieu si Internet avait existé ? J’ai la candeur de croire que non. Cela ne changera rien au passé mais permet d’imaginer un monde meilleur qui se révolterait contre les dictatures.

Mais voilà, en commentant le « Premier homme » de Camus, Finkielkraut rappelle que « l’homme qui se révolte doit aussi être l’homme qui se résiste. » Les extrémistes feraient bien de relire Camus. Un auteur qui aura gardé de son père l’idée qu’on ne peut être homme qu’en étant contre le monde du maître et de l’esclave. Ni maître, ni esclave, à l’heure les coaches qui florissent partout, voilà qui mérite réflexion. Dans le monde du coaching, la performance devient vite le maître et le coaché, l’esclave. « L’homme est l’être qui se définit non par ce qu’il fait – ses projets, ses produits, ses prouesses, ses édifices , ses monuments- mais par ce que le scrupule ou la vergogne le retiennent de faire. »

Bref sortons de l’hypnose imposée par nos fantasmes. Eveillons-nous à l’enfant qui est en nous et qui tout petit posait toutes les questions philosophiques. Tous les « pourquoi » d’un enfant ne satisfont jamais d’un « Parce que » comme réponse. Ils veulent comprendre, ils voudraient qu’à leur « Pourquoi » on réponde « pour que ». Hélas, un jour vient l’école qui leur inculquera souvent les réponses aux questions qu’ils n’auront plus envie de poser. Il seront endormis et tout disposés à reproduire l’idéologie dominante.

Maître ou esclave ? La question se pose aussi dans la relation qu’une entreprise souhaite avec ses clients. Et il est temps de se la poser parce qu’ils sont entrés en résistance.

© Patrick Willemarck 8 11 09

*Un coeur intelligent, Alain Finkielkraut, Editions Stock Flammarion, 2009

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