04 février 2009

La crise et les pépites

La crise et les pépites.

Je n’ai jamais assisté à une soirée d’élection de miss Belgique. Mais on m’a raconté qu’à la fin, tout le monde se rue et se presse autour de l’élue, laissant 19 jeunes et jolies jeunes filles seules et inconsolables. La foule n’est attirée que par la réussite, la gloire, le choix du jury, la mise sous les projecteurs. Le dragueur qui cherche à conclure aura, m’a dit un habitué de ces soirées, bien plus de chance de conclure avec une des 19 autres qu’avec l’heureuse élue. À l’ombre des projecteurs, il n’y a pas moins de 19 opportunités. Les pépites sont plus nombreuses à l’ombre que sous les projecteurs, encore faut-il les voir. Encore faut-il vouloir conclure au lieu de suivre.

Dans un autre registre, Anne Pochet raconte dans le Victoire du 31 janvier, l’expérience réalisée par le Washington Post qui souhaitait mesurer la capacité des gens dans la rue à découvrir le talent. Ils ont fait jouer le grand violoniste Joshua Bell après un concert sold out où la place se vendait à plus de 100 dollars, dans une galerie de métro avec un violon exceptionnel et hors de prix. Il n’a récolté que quelques piécettes, jouant dans l’indifférence générale du public et des voyous qui auraient pu monnayer beaucoup d’argent rien qu’en empruntant le violon à 3,5 millions de dollars.

« Sans l’emballage et la promo ad hoc, tout talent court le risque de passer inaperçu », conclut Anne Pochet. Le niveau de talent dont on parle ici est très différent de celui d’une candidate à l’élection de miss Belgique mais il faut de tout pour faire un monde. Ces différences ne sont pas plus grandes ou plus petites que celles qui existent entre tous les marchés et industries soumis aujourd’hui aux projecteurs de la crise. Et si le capital est plus difficile à trouver, l’actualité montre chaque jour quelques capitalistes capables de racheter à bon prix de belles pépites en déroute. Ombres et lumières, deux dimensions entre lesquelles il faut naviguer par tous les temps. En temps d’opulence, nous suivons la lumière et nous voyons se multiplier les fashion victims, les moutons, les suiveurs, les adeptes du « si ça marche pour lui, ça marchera pour moi ». Pendant ce temps-là, les créateurs, les entrepreneurs, les inventeurs cherchent à l’ombre les pépites qui seront sous les projecteurs de demain.

En temps de crise, les mots en « R » reviennent en force : récession, restructuration, revendications... ils sont sous les projecteurs et les entreprises comme les syndicats se mettent à les conjuguer au quotidien. Ce qui diffère par contre, c’est le potentiel fédérateur de ses mots. Au lieu de fédérer tout le monde pour réduire l’impact de la récession, la crise divise. Chacun se retranche derrière son particularisme, son égoïsme. Mc Kinsey vient d’analyser les effets des quatre dernières crises. Les secteurs les moins affectés sont les biens de première nécessité et le secteur de la santé. Tout ce qui touche au « sauve qui peut » en temps de crise se porte plutôt bien. C’est normal, c’est humain, on tombe au pied de la pyramide des besoins de Maslow, notre motivation devient une motivation de survie.

Ce qui est normal pour des individus doit-il forcément devenir normal pour des sociétés, qu’elles soient civiles ou commerciales ? Ce qui est normal pour l’individu est-il normal pour ceux qui sont en charge de la cité, nos hommes et femmes politiques ? Les partis se polarisent et les élections les conduisent à s’asséner des coups sans trop se préoccuper d’autre chose que de l’espoir de maximiser le nombre de voix. Les socialistes en profitent pour attribuer les raisons de la crise aux libéraux pendant que les écologistes risquent de voir leur réservoir de voix s’évanouir parce que, en période de crise, l’électeur se préoccupe d’abord de lui et puis de la planète. Quant aux partis nationalistes, ils oublient que la richesse de la démocratie, c’est de permettre la pluralité.

En période de crise, en état de survie, c’est la lumière au bout du tunnel qui remplace les projecteurs et nous empêche de voir le talent, les pépites, les visionnaires et les courageux qui pourraient participer à réinventer l’avenir. On pare au plus pressé et nous en ferons les frais en tant que publicitaires, marketers, chercheurs et citoyens. À force de creuser des tunnels pour aller plus vite et prendre des raccourcis on oublie les vertus de l’escalade, de la prise de hauteur, de « l’helicopter view ».

Qui nous aide à reconnaître le talent pour soutenir l’avenir des marques, des entreprises et de l’emploi ? Qui nous aide à identifier le talent à élire, pour jeter les bases d’une société porteuse de progrès humains et non de repli nationaliste ? Nous sommes victimes du système. Sans doute. Mais nous sommes peut-être aussi victimes d’un excès de rationalisme et d’un manque d’utopie et d’ambition. Un rationalisme où les faits priment sur tout. Les faits hélas appartiennent toujours au passé. On oublie qu’il a fallu les faire. Qui va faire demain ?

Rien que dans notre métier, on voit se multiplier les associations organisatrices de séminaires. Il y a de moins en moins d’argent disponible pour la formation, il y a de moins en moins de gens employés dans notre industrie mais il y a de plus en plus de séminaires. Cela comble sûrement le narcissisme des orateurs de ces réunions, mais la crise ne devrait-elle pas nous encourager à faire autre chose de ce talent que de multiplier les projecteurs sous lesquels on le met au risque de nous éblouir tous et de nous empêcher de découvrir les pépites de demain ?

Patrick Willemarck

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