Devant un parterre de psys, une anthropologue évoquait le passage d’un type d’intimité à une autre et les difficultés que cela génère dans la vie. Interpellant. Tout annonceur bercé au CRM et au « One to One » rêve de symbiose avec son client, de proximité, d’intimité. Personne ne parle de passage. Et si c’était une erreur.
L’anthropologue rappelle qu’avant de rêver ce type de relations, tout être humain doit venir au monde. Cette naissance est une crise. On en pleure. Heureusement, les auteurs du drame, vont s’occuper de nous. La mère en particulier, elle va se surpasser pour compenser notre éjection du confort douillet de l’utérus dans lequel nous barbotions depuis neuf mois. Elle va nous prendre en charge, nous laver souvent, nous gaver parfois, nous choyer toujours, nous langer avec plus ou moins de bonheur, nous bercer avec ou sans chansonnette. Quel bonheur, quelle intimité, quel réconfort.
Le petit homme va grandir et vieillir comme grandissent et vieillissent les clients de nos clients. Vous savez, ceux qu’on chérit tellement quand ils sont prospects et qu’on délaisse un peu quand le temps, nous a permis de les convertir en client. Ne le niez pas, cela arrive dans les meilleures familles. Celle des annonceurs, comme celle des agences.
Le petit d’homme grandit donc. Maternelle, primaire, classes vertes, de mer ou de neige, humanités, kot, flirts, concubinage, mariage autant d’étapes qu’il franchira avec plus ou moins d’aisance et d’élégance. Plus il grandit, plus l’intimité avec ses proches se réduira. Plus il vieillit , plus le besoin d’intimité avec des étrangers se développera. Au point, pour certains d’envisager la vie en demi-mesure et de partir en quête d’une seconde moitié. Et plus, si affinités. Beaucoup de ces demi-portions finiront heureuses et auront beaucoup d’enfants. Et l’histoire recommencera : naissance, crise, intimité protectrice, vieillissement, quête d’intimité émancipatrice, etc.
En cela l’homme n’est pas différent d’une idée. Sauf qu’une demi-idée ne doit pas être très belle et encore moins efficace. Quant aux demi-portions humaines, c’est une question de goût. Je préfère rester entier. Ma femme aussi.
Imaginez un couple, un AD et un copy, entiers tous les deux. Ils trouvent une idée. Ils la protègent, la peaufinent. Elle quitte leur bureau. L’intimité se dilue. Elle va chez le client. Elle en revient un peu différente. Les auteurs, souvent, n’en reviennent pas. Mais par amour de l’idée, ils continuent à la chérir et veillent à ce que mannequins, photographes et réalisateurs donnent le meilleur d’eux-mêmes pour son bien-être et son développement serein. Ils ne sont pas naïfs pour autant. Ils savent que leur idée finira inexorablement dans la rue et dans l’air pourvu qu’ elle échappe à la poubelle. Quelle que soit sa destinée, air ou poubelle, une idée à peine lancée part inexorablement vers la rupture. Rejetée, il ne lui restera que le faible espoir de rencontrer quelqu’un d’autre qui l’adopte. La larme de Spa, primée à Cannes, avait été conçue pour la journée mondiale de l’eau. J’ai fini par la faire adopter par Spa. Merci Roger. « On air », l’idée nouera d’autres relations. Elle finira dans l’intimité du client et dans celle du client du client, le consommateur. Elle deviendra autre. Elle sera ailleurs. Pour le meilleur et pour le pire. Si l’idée est restée belle, elle fera des petits. Sinon des désastres.
Imaginez un autre couple, composé de l’inventeur et de l’ingénieur qui planchent sur une nouvelle machine. Que se passe-t-il quand leur idée quitte le labo et l’épreuve des tests de faisabilité ? La même chose. Imaginez l’écrivain qui trie les mots et les sons pour raconter une histoire qui transportera les foules. Que se passe-t-il quand son manuscrit revient du comité de lecture et que l’éditeur l’approuve ? Que se passe-t-il quand il entre en librairies sous l’œil et la plume critiques des journalistes ? Que se passe-t-il quand il est entre vos mains ? S’il ne tombe pas, il vous emporte. Nous assistons encore et toujours à l’épreuve d’une perte d’intimité proximale pour en gagner une autre, plus grande, plus étrange, plus risquée.
Et que feront tous ces couples ? De l’idée qui n’est plus la leur on se forgera une idée d’eux. Bonne ou mauvaise, proche ou éloignée de celle qu’ils se font d’eux-mêmes. Cela dépend. Leur épanouissement en dépendra aussi.
L’homme comme l’idée doivent relever et réussir le défi du passage de l’intimité avec leurs géniteurs à une intimité nouvelle, plus grande et plus forte avec un étranger qu’ils chercheront naturellement à séduire. Une renaissance. Le passage n’est pas simple. Il affectera toute le vie intime ultérieure. De la qualité du passage dépendra la qualité de cette vie. Beaucoup de psys viennent au secours de l’humain pendant ce passage.
Mais qui sont les psys qui facilitent le passage d’une idée de l’intimité de ses créateurs à l’intimité de l’utilisateur ? Qui est le gardien d’une bonne idée pour une marque ? Qui veillera à son épanouissement dans l’intimité du public ? Je ne vois qu’un couple qui puisse le faire : le couple agence-annonceur, un couple de plus en plus déchiré, parfois recomposé. Un couple de plus en plus ignoré par ceux qui le réduisent à une transaction entre un acheteur d’idée et un vendeur. Et on s’étonne que le consommateur préfère Aldi, Colruyt, Delhaize. Quelle idée ? Ces enseignes sont devenues intimes. Les marques de moins en moins et ce n’est pas la pub du BABM qui changera cela. Elle sent trop le désespoir. Pas assez l’utile.
©Patrick Willemarck pour Media Marketing
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L’anthropologue rappelle qu’avant de rêver ce type de relations, tout être humain doit venir au monde. Cette naissance est une crise. On en pleure. Heureusement, les auteurs du drame, vont s’occuper de nous. La mère en particulier, elle va se surpasser pour compenser notre éjection du confort douillet de l’utérus dans lequel nous barbotions depuis neuf mois. Elle va nous prendre en charge, nous laver souvent, nous gaver parfois, nous choyer toujours, nous langer avec plus ou moins de bonheur, nous bercer avec ou sans chansonnette. Quel bonheur, quelle intimité, quel réconfort.
Le petit homme va grandir et vieillir comme grandissent et vieillissent les clients de nos clients. Vous savez, ceux qu’on chérit tellement quand ils sont prospects et qu’on délaisse un peu quand le temps, nous a permis de les convertir en client. Ne le niez pas, cela arrive dans les meilleures familles. Celle des annonceurs, comme celle des agences.
Le petit d’homme grandit donc. Maternelle, primaire, classes vertes, de mer ou de neige, humanités, kot, flirts, concubinage, mariage autant d’étapes qu’il franchira avec plus ou moins d’aisance et d’élégance. Plus il grandit, plus l’intimité avec ses proches se réduira. Plus il vieillit , plus le besoin d’intimité avec des étrangers se développera. Au point, pour certains d’envisager la vie en demi-mesure et de partir en quête d’une seconde moitié. Et plus, si affinités. Beaucoup de ces demi-portions finiront heureuses et auront beaucoup d’enfants. Et l’histoire recommencera : naissance, crise, intimité protectrice, vieillissement, quête d’intimité émancipatrice, etc.
En cela l’homme n’est pas différent d’une idée. Sauf qu’une demi-idée ne doit pas être très belle et encore moins efficace. Quant aux demi-portions humaines, c’est une question de goût. Je préfère rester entier. Ma femme aussi.
Imaginez un couple, un AD et un copy, entiers tous les deux. Ils trouvent une idée. Ils la protègent, la peaufinent. Elle quitte leur bureau. L’intimité se dilue. Elle va chez le client. Elle en revient un peu différente. Les auteurs, souvent, n’en reviennent pas. Mais par amour de l’idée, ils continuent à la chérir et veillent à ce que mannequins, photographes et réalisateurs donnent le meilleur d’eux-mêmes pour son bien-être et son développement serein. Ils ne sont pas naïfs pour autant. Ils savent que leur idée finira inexorablement dans la rue et dans l’air pourvu qu’ elle échappe à la poubelle. Quelle que soit sa destinée, air ou poubelle, une idée à peine lancée part inexorablement vers la rupture. Rejetée, il ne lui restera que le faible espoir de rencontrer quelqu’un d’autre qui l’adopte. La larme de Spa, primée à Cannes, avait été conçue pour la journée mondiale de l’eau. J’ai fini par la faire adopter par Spa. Merci Roger. « On air », l’idée nouera d’autres relations. Elle finira dans l’intimité du client et dans celle du client du client, le consommateur. Elle deviendra autre. Elle sera ailleurs. Pour le meilleur et pour le pire. Si l’idée est restée belle, elle fera des petits. Sinon des désastres.
Imaginez un autre couple, composé de l’inventeur et de l’ingénieur qui planchent sur une nouvelle machine. Que se passe-t-il quand leur idée quitte le labo et l’épreuve des tests de faisabilité ? La même chose. Imaginez l’écrivain qui trie les mots et les sons pour raconter une histoire qui transportera les foules. Que se passe-t-il quand son manuscrit revient du comité de lecture et que l’éditeur l’approuve ? Que se passe-t-il quand il entre en librairies sous l’œil et la plume critiques des journalistes ? Que se passe-t-il quand il est entre vos mains ? S’il ne tombe pas, il vous emporte. Nous assistons encore et toujours à l’épreuve d’une perte d’intimité proximale pour en gagner une autre, plus grande, plus étrange, plus risquée.
Et que feront tous ces couples ? De l’idée qui n’est plus la leur on se forgera une idée d’eux. Bonne ou mauvaise, proche ou éloignée de celle qu’ils se font d’eux-mêmes. Cela dépend. Leur épanouissement en dépendra aussi.
L’homme comme l’idée doivent relever et réussir le défi du passage de l’intimité avec leurs géniteurs à une intimité nouvelle, plus grande et plus forte avec un étranger qu’ils chercheront naturellement à séduire. Une renaissance. Le passage n’est pas simple. Il affectera toute le vie intime ultérieure. De la qualité du passage dépendra la qualité de cette vie. Beaucoup de psys viennent au secours de l’humain pendant ce passage.
Mais qui sont les psys qui facilitent le passage d’une idée de l’intimité de ses créateurs à l’intimité de l’utilisateur ? Qui est le gardien d’une bonne idée pour une marque ? Qui veillera à son épanouissement dans l’intimité du public ? Je ne vois qu’un couple qui puisse le faire : le couple agence-annonceur, un couple de plus en plus déchiré, parfois recomposé. Un couple de plus en plus ignoré par ceux qui le réduisent à une transaction entre un acheteur d’idée et un vendeur. Et on s’étonne que le consommateur préfère Aldi, Colruyt, Delhaize. Quelle idée ? Ces enseignes sont devenues intimes. Les marques de moins en moins et ce n’est pas la pub du BABM qui changera cela. Elle sent trop le désespoir. Pas assez l’utile.
©Patrick Willemarck pour Media Marketing
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